EDJC 2023 > Exposition Alain Kleinmann
UNE ŒUVRE FACE AU SILENCE
Passé les vexations, les massacres, l’extermination et les guerres, s’ouvre en 1945 un grand monde de silence. Que demeure-t-il de ces millions de femmes, d’hommes, d’enfants dont les corps, les vêtements et les rêves ont disparu à jamais ? On tend l’oreille : plus un cri, plus un rire… Se tourne-t-on vers les survivants, ils sont à peine plus loquaces lorsqu’il faut évoquer ce passé d’écorchures et de cendres.
Pourtant, le passé peut faire signe, à travers des objets, des photographies sauvés ici ou là, mais pas une parole pour entourer de mots et de sens explicites ces traces d’un autrefois duquel on est irrémédiablement coupé. À la recherche des mondes juifs engloutis, on navigue seul au milieu de ces souvenirs muets.
Alain Kleinmann naît en 1953, au cœur de ce silence d’après l’horreur. Auprès de ses parents, peu de mots mais, en creux, c’est l’image qui se dévoile tôt dans son importance fondamentale. « Mon père parle très peu et d'une certaine manière je suis constamment à la recherche de son histoire. Or cette histoire, je la lis dans le visuel, pas dans le mot. […] C'est dans le regard de mon père que je comprends ce qui a pu se produire pour sa famille, pour lui. […] Cela se lisait dans sa manière de regarder. Et la peinture, c'est exactement cela, ce sont les moments où le champ visuel parle suffisamment pour qu'aucun mot ne vienne. » (A. Kl.) La peinture, Alain Kleinmann s’y adonne dès 7 ans, lancé dans la vie vers tous les domaines de sensibilité et d’intelligibilité : le voici en Maths Sup, à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, aux côtés de Lacan, de Julia Kristeva… Il cherche et chemine, du côté du surréalisme, de la figuration critique… Aragon ne devait pas tarder à s’inscrire dans le paysage. Une amie commune, Olga Kagan-Katunal – intellectuelle juive originaire de Lettonie, longtemps proche de Paul Vaillant-Couturier, ayant fait le choix de rester en France pour résister malgré les appels à quitter le pays –, les met en lien. Le poète percevra dans l’œuvre « un sentier pétri d’humanité chaude et douloureuse qui bouleverse par sa vérité plastique et poétique ». Kleinmann est encore un tout jeune peintre – il n’a pas 30 ans – mais l’œil et la générosité d’Aragon sont là, l’écrivain se montrant toujours si attentif à ce qui se cherche, se crée. Bientôt, Kleinmann participe à l’exposition Le Temps des gares organisée à l’hiver 1978 au centre Pompidou. Bien d’autres suivront, de Milan à La Havane en passant par New York, pour nous mener jusqu’à la Maison Elsa Triolet-Aragon, nous y ramener en quelque sorte, près de 50 ans plus tard, avec la force d’une œuvre pour faire face au silence.
Guillaume ROUBAUD-QUASHIE / Directeur de la Maison Elsa Triolet-Aragon.
14:00 - 18:00
Exhibition
Moulin de Villeneuve - rue de Villeneuve,
Saint-Arnoult-en-Yvelines, France
78730
Face-to-Face
MAISON ELSA TRIOLET-ARAGON